J’ai longtemps imaginé comment j’aimerais vivre un 8 mars aux Comores. Je descendrais dans la rue, pancarte droit devant avec un slogan bien provocateur. Je marcherais sur Moroni, nous serions plusieurs, nous serions en colère, une colère heureuse parce que nous serions entrain de marcher ou assiéger ces places que nous traversons sans y être forcément les bienvenues.
Je suis aux Comores depuis 3 jours, nous sommes le 08 mars et mon programme de la journée consiste à faire un grand ménage dans la maison familiale. Vêtue de mon boubou, je suis loin des pancartes que j’aurais pu brandir. Et si la situation est bien ironique, elle n’a pas manqué de me rappeler le temps et surtout l’espace mental dont on doit disposer afin de militer. Un temps et un espace mental qui sont un luxe dans un pays où la femme est l’invisible charpentière.
Depuis 03 jours, j’assiste à la mobilisation de l’espace mental de plusieurs femmes de mon entourage au service d’autrui. Ma venue s’étant faite un peu à l’improviste, elles jonglent avec une multitude de situations accompagnées d’une force d’anticipation de besoins spectaculaires et une adresse cognitive impressionnante. Je parle ici du moustiquaire qu’on pense à laver, au mkatra sinia qui doit se faire en express pour ceux qui se présenteront pour souhaiter la bienvenue, en passant par le madaba à congeler, pour que, le temps que je retrouve mes repères, je ne mange pas trop mal. Je ne parlerais pas de l’inspection des toiles d’araignées à enlever, le ménage, le linge à poser, les réservoirs d’eau à remplir, les personnes à appeler pour envoyer chercher ceci/cela, ni du repas du 1er jour où on se demande « Qu’est-ce qui ferait plaisir en bouche ». Et le tout en ayant leur vie quotidienne dont la gestion se maintient. J’assiste à la charge mentale que portent les femmes de mon entourage, cette charge mentale que portent bien des femmes sans qu’elle ne soit appréciée à sa juste valeur, voire qu’elle ne soit vue.
J’assiste à ma propre charge mentale en ce 08 mars où je vais faire du ménage, tout en sachant pertinemment que cette ingéniosité d’esprit d’organisation, de gestion et d’anticipation est déconsidéré, invisibilisé et sous-estimé.
Les femmes mobilisent quotidiennement de l’espace mental au service d’autrui, sont quotidiennement présentes avec une intuition en éveil pour s’entendre dire au détour d’une conversation « Où sont les femmes ?». Cette question méprisante et méprisable que j’ai vu posé un de ces jours avec le ton suffisant qui sied aux personnes dont l’inculture transcende la bêtise, m’est revenu amèrement ce matin. Puisse-t-elle ne plus jamais être posé. Puisse la mise à disposition cognitive des femmes être reconnues. Puisse la charge mentale être partagée. Puisse les femmes comoriennes disposer de plus de temps pour créer, rêver, dormir. Puisse les femmes que nous sommes et qui tenons cette société disposer, toutes, de la visibilité que nous méritons.
Vaillante journée des droits des femmes à toutes.