Les droits de l’Homme sont plus que jamais au cœur de la vie des Comoriens et Comoriennes. Ces droits fondamentaux sont des droits inhérents à la nature humaine : ils sont universels. Parce que nous sommes des êtres humains, nous naissons avec ces droits. Il s’agit pêle-mêle de la liberté d’aller et venir, de la liberté d’association, de réunion, de manifestation, de la presse, de la pensée, de religion, d’enseignement, droit de grève, liberté syndicale, droit à l’environnement.
Ces droits, nos droits, doivent nous préoccuper. Hier comme aujourd’hui, le respect et la garantie de nos droits fondamentaux doivent être exigés. De la période coloniale à la dictature qui fait rage aujourd’hui, en passant par les périodes sombres de notre histoire caractérisées par le parti unique et les coups d’État successifs orchestrés par des miliciens français, les droits fondamentaux des comorien.ne.s ont été et sont bafoués.
Ces droits individuels sont normalement protégés par le juge et garantis par notre Constitution. Ainsi, même le texte de 2018, en ses articles 8, 11, 13, et son chapitre II, rappelle l’importance des droits fondamentaux et le fait que l’État en est le garant. Le Rapport sur la situation des Droits de l’Homme aux Comores 2019-2020 produit par la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés (CNDHL) rappelle « la liberté constitue la règle, la privation de liberté est l’exception ».
Les premières pages dudit rapport nous « rassurent », un peu. Il est précisé qu’il est produit par une autorité (la CNDHL) « neutre », qui « jouit de l’autonomie administrative […] de l’indépendance d’action, par rapport aux autres institutions de l’Union des Comores ». Et puis, il se veut être une « unité de mesure et de pesanteur […] de respect des engagements pris au niveau international et régional ».
«Priver les gens de leurs droits fondamentaux revient à contester leur humanité même.» Nelson Mandela, militant sud-africain des droits civiques
Bon, très bien. Nous avons donc une autorité dite indépendante qui veille au respect des droits de l’Homme et promeut ces derniers aux Comores. Aux Comores, un pays gouverné par des politiciens qui ont bafoué les règles constitutionnelles et violé les droits fondamentaux les plus élémentaires :
- les modes de révision constitutionnels prévus par la Constitution de 2001 pour passer en force et imposer un texte en 2018 dont personne ne voulait,
- des « élus » dont il est avéré qu’ils n’ont pas été élus démocratiquement,
- une Cour constitutionnelle supprimée sans aucun fondement juridique et une Cour suprême qui siège et s’arrogeant les prérogatives de l’ancienne Cour constitutionnelle sans aucun fondement légal autre que le désormais célèbre « courou courou » hein,
- des actes de tortures commis sur les prisonniers,
- des conditions de détentions inhumaines et dégradantes
- des prisonniers politiques et des détentions arbitraires : parmi les détenus, 57 sont des prisonniers politiques. A cela, s’ajoutent 4 personnalités politiques condamnées et qui se sont échappées de prison, 6 personnalités politiques sont en résidence surveillée, 15 personnes arrêtées pour des raisons politiques libérées provisoirement sous contrôle judiciaire. Et encore, le jeudi 7 janvier 2021, journalistes, hommes politiques et citoyens revendiquant leurs droits, dont le Docteur Youssouf Said, un des leaders de l’opposition, le journaliste Abdallah Abdou Hassane connu sous “Agwa”, et Sabikia Mze Ahmed, présidente du mouvement Wadzadze Wairoumbi (“les mamans conscientes), ont été arrêtés. Le Docteur Youssouf Said a été libéré et placé sous contrôle judiciaire. Agwa, dont l’avocat allègue des faits de torture, et Mme Sabikia Mze Ahmed sont aujourd’hui toujours en détention
Donc malgré cela, nous avons une autorité « indépendante » qui fait état des violations des droits de l’Homme, des droits fondamentaux, des libertés publiques. Aux Comores.
Si le rapport en question liste les missions de la CNDHL et les différents droits individuels, on ne peut que regretter la dénonciation timorée et timide des manquements de l’État. Pire que cela, le rapport semble faire peser sur les Comorien.ne.s la responsabilité de la violence extrême de l’appareil judiciaire et étatique sur les personnes détenues (« pays déstabilisé », « devoir des citoyens non respectés »).
Il est par ailleurs étonnant que l’autorité censée « assurer l’accès aux droits des victimes » et « former et informer l’opinion publique » fasse état d’infractions en 2019 et 2020 qui n’ont pas été jugées et dont aucun jugement bénéficiant de l’autorité de la chose jugée n’a été prononcé. Nous attendons toujours qu’un procès équitable ait lieu et qu’un juge impartial et indépendant tranche.
De même, cette Commission « indépendante et neutre » ne reconnaît pas ce que tout Comorien.ne sait : le droit de manifester est suspendu depuis maintenant deux ans. Sa position concernant le droit de manifestation et de réunion nous rappelle la conférence de presse tenue par l’ancien Ministre des Affaires Étrangères, Souef Mohamed El-Amine, en 2018 : « le droit de manifester aux Comores est un droit au Comores, tout le monde peut manifester et s’exprimer aux Comores, il suffit de demander l’autorisation de manifester ». Et la CNDHL de nous «rappeler » « que le droit de manifestation est reconnu dans la constitution révisée de 2018. Il obéit à des droits et à des obligations que les parties prenantes doivent scrupuleusement respecter » p.20. Ignore-t-elle la violence subie par les manifestantes à la fin de l’année 2019 ? Ignore-t-elle, alors même qu’elle collabore avec tous « les départements techniques concernés », que toutes les demandes de manifestation ont été refusées ? Et pourtant, « elle souhaite que le devoir de demande d’autorisation de manifester sans troubler l’ordre public soit respecté conformément à la loi » p.74. Quid du devoir des autorités publiques d’autoriser les manifestations ? À quoi bon demander une autorisation de manifester quand on sait qu’elle sera systématiquement refusée ? Nous devons rappeler que manifester est un droit fondamental garanti tant par les textes nationaux qu’internationaux que les Comores ont ratifiés : autrement dit, la liberté de réunion et de manifestation est la règle, et sa suspension à l’exception. Que cette notion vague de « trouble à l’ordre public » est l’étendard du régime en place et utilisé à tout va pour restreindre les libertés les plus élémentaires des Comoriens. Qu’est-ce qu’un trouble à l’ordre public ? Est-ce que réclamer de meilleures conditions de vie pour ses enfants et un véritable service public constitue un trouble à l’ordre public? Ou alors devons-nous comprendre que désormais, la parole du citoyen comorien constitue en soi un trouble à l’ordre public?
Le jeudi 7 janvier 2021, ont eu lieu plusieurs manifestations à Ngazidja. Ces manifestations dénonçaient le régime en place et ont été pacifiques. Et pourtant, des journalistes et un des leaders de l’opposition arrêtés pour des motifs jusqu’alors obscurs. D’autres arrestations de citoyens ont suivi. Le rapport de la CNDHL n’affirmait-il pas que « le multipartisme est reconnu et demeure une réalité dans le pays » ? Comment cela pourrait-il être une réalité alors que la quasi-totalité des opposants et leurs militants sont en détention, en résidence surveillée, ou alors en fuite à l’étranger ? Quels sont ces opposant politiques qui bénéficient de liberté d’expression ou de la libre circulation ? Lorsque la CNDHL déplore que « des personnalités politiques se sont exilés dans certains pays, pendant que les enquêtes sont en cours » et note que « plusieurs autres sont restés au pays » , l’on ne peut que s’interroger sur ce « constat ». Il aurait été de bon ton de rappeler la situation dans laquelle se trouvent ceux restés au pays, de rappeler la manière dont les « enquêtes » sont menées, de dénoncer l’impartialité de l’appareil judiciaire qui fait des conférences de presse et évoque publiquement des affaires dont l’instruction n’est pas close et qui, dans un État de droit, devraient être protégées par le secret de l’instruction.
Que dire de l’état de nos prisons ? Une maison d’arrêt n’est pas faite pour abriter des détenus sur le long terme. Et cela, alors même que ses capacités d’accueil sont dépassées (la capacité d’hébergement de la maison d’arrêt de Moroni est plus que dépassée, et contient plus du double des détenus que la capacité maximale prévue), les conditions de détention sont indignes, les mineurs ne sont pas isolés dans un établissement pénitencier distinct… Suite à ce constat, la CNDHL milite-t-elle auprès du gouvernement pour rénover ces lieux et construire des établissements adaptés aux mineurs ?
Qu’en est-il de la formation des magistrats et des forces de l’ordre ? Ce ne sont pas quelques ateliers de sensibilisation de quelques heures qui vont leur permettre de comprendre leur mission de protection des libertés fondamentales… Quid des violations massives et abus pendant la première vague de Covid-19 ?
Nous ne pouvons que déplorer la conclusion de ce rapport, bien éloigné de la réalité des Comorien.ne.s : « de manière générale, la situation des droits de l’homme en Union des Comores n’a pas atteint à un niveau de violations massives et/ou alarmantes » . Existe-t-il un seuil tolérable de violations des libertés publiques ? Pourtant, « la commission déplore certains comportements du gouvernement qui ne traduisent pas une collaboration positive et inclusive […] ce qui démontre un faible intérêt vis-à-vis de l’institution ». Dès lors, comment peut-elle conclure à un bilan satisfaisant ? Comment des autorités qui se désintéressent de la protection des droits fondamentaux des Comoriens peuvent-elles en être les garantes ? Comment peuvent-elles assurer le respect de ce dont elles se désintéressent ?
En conclusion, ce rapport ne semble qu’effleurer du bout des lèvres la réalité des violations des droits de l’Homme aux Comores. Si l’existence de cette organisation est nécessaire et salutaire, elle ne sera véritablement utile et au service des Comorien.nes que lorsqu’elle assumera une approche réaliste, sans complaisance dans ses observations et ses recommandations. Autrement dit, ce n’est pas demain la veille.
Vous pouvez retrouver le rapport ici.