On ne s’y attendait pas. Quand nous regardions autour de nous, entourées de visages où se lisait une certaine détermination, nous ne nous attendions pas à ce qu’une foule de comoriens franciliens répondent à l’appel au rassemblement lancé en catastrophe sur Facebook par Ben Amir Saadi, le manager de la sélection nationale et Cheikh MC, artiste engagé, tout juste trois jours avant ce rassemblement.
Mais ils étaient là, tous.tes ces comorien.nes que l’on dit amorphes, tous.tes ces comorien.nes que l’on dit passif.ves, tous.tes les comoriens prétendument fatalistes, ils étaient là et nous aussi. C’était le début de l’aventure francilienne dans le bras de fer engagé déjà une semaine plutôt à Marseille par la diaspora contre le régime dictatorial d’Azali Assoumani. On ne s’y attendait donc pas et il est quasiment sûr qu’à Moroni aussi, le succès des différents rassemblements fut une surprise. Elles ne datent pas d’hier les analyses qui présentaient la diaspora comme un moteur de développement et de croissance. Beaucoup ont vu le pouvoir potentiel d’une si grande force économique malheureusement trop divisée et dispersée. Mais les nombreuses tentatives pour la structurer ont toujours fait choux blancs. Il n’y avait pas de conscience commune forte de la diaspora si ce n’est celle de sa ville, sa région ou son île. Et si, prise dans son ensemble, elle est puissante, une communauté éparse géographiquement sur un territoire aussi vaste que la France ne facilite par la structuration que tous appellent de leurs vœux.
Puis vint Azali. Ses manières brusques, sa politique brutale. Au début pourtant, l’émergence, certains y ont cru. En réalité, les Comoriens ne demandent qu’à croire. Et les quelques projets de réfection de routes et la fourniture régulière d’électricité avaient laissé croire, un temps, que le temps du changement était enfin venu. Le changement vint effectivement mais pas là où on l’attendait. Recyclant la même équipe qui lui permit de gouverner déjà une première fois en 2001, Azali pouvait mettre en œuvre son plan, le rêve qu’il n’avait pu accomplir en 2006 poussé fermement vers la sortie par l’UA: un règne sans partage à durée indéterminée. Ça commence par revoir la constitution. Quand on veut piquer son chien, on dit qu’il a la rage, dit l’adage. Il organisera donc des assises qui concluront dans ce sens: la Constitution doit être réformée. Avec les conséquences que l’on connaît.
La disparition des contre-pouvoirs institutionnels laisse penser que plus aucun obstacle ne s’oppose au règne total d’Azali. C’était sans compter le réveil de la diaspora endormie, bercée par le rythme immuable des mitsango, journées culturelles et divers mashuhuli. La dernière mobilisation d’ampleur datait du crash de la Yemenia. Depuis, rien n’avait réussi à troubler la quiétude d’une communauté réputée peu militante. Mais il y eut Azali. Et d’anciens militants ont rechaussé leurs makoshi de manifestants, des jeunes ont réactivé leur Facebook pour suivre les affaires du pays et des milliers de travailleurs et de familles ont rajouté « manif’ » à leur calendrier d’événements hebdomadaires. Quelque chose a bougé. Quelque chose a basculé. Un nombre grandissant de comorien.nes ont décidé de ne pas laisser le pays sombrer dans la dictature sans protester. Et ainsi, sur Facebook d’abord, avec des slogans, des mots d’ordres, des selfies qui s’affichent sur les murs, est né un mouvement qui est descendu dans la rue crier son attachement aux droits des Comoriens, à la dignité de leur pays et de leurs droits.
Le droit de voter. Le droit de manifester. Le droit à liberté d’expression. Le droit d’informer.
Les leviers d’action de ce contre-pouvoir? Sa visibilité internationale, ses réseaux internationaux aussi, sa capacité à mobiliser largement. Et c’est dans une ville, Marseille, que l’on présente souvent comme un prolongement du territoire comorien, qu’est né ce contre-pouvoir. Il a rapidement trouvé un écho national puis international dans toutes les villes où les Comoriens sont fortement représentés. La diaspora est passé de la position d’observateur à acteur engagé. Il est désormais bien décidé à jouer pleinement son rôle et à rappeler à Azali Assoumani l’illégitimité de son régime.
On ne sait pas si ce contre-pouvoir saura s’inscrire durablement dans le paysage politique comorien. S’il trouvera une légitimité au delà de ses frontières. Ni même s’il saura préserver l’unité. Mais il est désormais acquis qu’il ne se laissera pas spolier sans se battre.